Le projet JENII se clôturera le 1er novembre. Est-ce pour autant la fin de l’histoire ? Quelles avancées a permis ce projet ? Réponses avec Véronique Favier, directrice générale adjointe d’Arts et Métiers et responsable scientifique de JENII, et Sébastien Fernandez, directeur du développement des ELF.
Quinze jumeaux numériques (JN) dont huit à Arts et Métiers qui servent à former les élèves ingénieurs via des répliques de systèmes physiques, voilà déjà de belles réalisations permises grâce au projet JENII (Jumeaux d’Enseignement Numériques Interactifs et Immersifs).
Les huit jumeaux numériques d’Arts et Métiers
Huit jumeaux numériques ont été déployés à Arts et Métiers :
- Les deux jumeaux numériques de l’atelier de fonderie
Avec les JN de la fonderie des campus aixois (basse pression) et angevin (coquilleuse), l’étudiant analyse l’impact des paramètres de coulée sur le résultat de la pièce. Elle et il peut alors réaliser une étude paramétrique et préparer les expérimentations dans le JN avant de les réaliser réellement sur le jumeau physique. - Le jumeaux numériques de l'atelier de forgeage
Le JN de la forge industrielle de Metz permet à l’étudiant d’expérimenter la fabrication d’une pièce et la manipulation des machines (four, presse, robots). Elle et il se forme ainsi à des situations dangereuses dans le mode physique. En outre, le JN permet de voir l'invisible comme le fonctionnement d'une presse hydraulique ou mécanique en ouvrant virtuellement les presses ou en faisant apparaître le champ thermique d'un lopin juste après forgeage.
L'acquis d’apprentissage visé est celui de la compréhension : il s’agit de reconnaître des concepts vus en cours et comprendre des phénomènes complexes. - Le jumeaux numériques de l’atelier de déroulage de rondins de bois
Installée à Cluny, la dérouleuse de rondins à bois est une machine très rare, presque un prototype, en cours de développement.
Il est coûteux et long de la mettre en route pour quelques minutes de fonctionnement dans un cadre pédagogique mais c’est utile pour former les étudiant·e·s et les professionnels de la filière bois. Ils peuvent donc la découvrir grâce à son JN et apprendre à la faire fonctionner (voir aussi ci-dessous). - Le jumeaux numériques Atelier usinage haute performance
Le JN de la machine d’usinage est couplé en temps réel au jumeau physique sur le campus de Cluny, permettant une vision augmentée des grandeurs physiques mesurées ou simulées sur la base de données d’entrée réelles. Ces fonctionnalités offrent aux étudiant·e·s une meilleure compréhension mécanique de l’usinage en direct. Le JN enregistre les données en flux continu et permet une analyse des conditions d’usinage et des résultats obtenus.
Les trois autres JN sont un atelier de turbomachine à Paris, un atelier usine flexible à Bordeaux et une Usine agile à Lille.
Ces jumeaux numériques ont été principalement développés en interne, en mobilisant les compétences d’AMValor qui dispose d’experts développeurs. D'ici six mois, la majorité d’entre eux seront accessibles dans les AtriuM de l’école.
Les apports pédagogiques des jumeaux numériques
Le projet JENII a également permis de mieux connaître l’apport pédagogique des jumeaux numériques.
Des comparaisons ont été effectuées entre différents supports (diaporama, écran interactif, immersion totale dans un jumeau numérique ou encore utilisation d’un appareil physique). Pour l’apprentissage d’informations factuelles, le diaporama est le plus adapté. En revanche, pour la mise en pratique des connaissances, les jumeaux physiques sont les plus efficaces, suivis par les jumeaux numériques.
Les jumeaux numériques présentent un réel intérêt dès lors qu’il s’agit d’appliquer des connaissances.
« Les retours des étudiants sont très clairs. Ils prennent beaucoup de plaisir ce qui renforce nettement leur engagement dans les activités pédagogiques, indique Véronique Favier. Mais leur usage nécessite aussi de repenser la relation entre l’étudiant et l’enseignant qui adopte davantage un rôle de coach. Cela implique aussi de nouveaux temps pédagogiques : un briefing pour expliquer à l’étudiant ce qui est attendu dans l’activité et un debriefing pour revenir sur l’expérience vécue. »
« Un livre blanc sur les usages pédagogiques a été publié en 2023 pour clarifier les concepts associés aux jumeaux numériques et formuler des recommandations pour leur intégration dans l’enseignement », reprend Sébastien Fernandez.
Un vademecum est également disponible en ligne et en cours d’édition papier : « Il s’agit d’un guide pratique à destination des enseignants qui souhaitent se lancer dans l’utilisation de ces outils, même sans connaissance préalable, précise Sébastien Fernandez. Ce guide vise aussi à déconstruire un certain nombre d’idées reçues. Il illustre les principales conclusions du projet à partir d’exemples issus de l’ensemble des jumeaux numériques développés. C’est le livrable de synthèse du projet. »
Quelles suites ?
Le projet JENII prendra fin le 1er novembre mais trouve logiquement sa place au sein des Evolutive Learning Factories. Des pistes d’exploitation et de pérennisation sont explorées, notamment en formation continue.
En outre, ses porteurs (Arts et Métiers, CESI et le CNAM avec également ENSAPLV, l'Institut Français de la Mode, ESAA Duperré et Les Compagnons du Devoir et du Tour de France) sont déjà engagés dans le projet ConfluenceS, labellisé Excellences du programme France 2030. ConfluenceS vise à transformer l'offre de formation et à renforcer l'insertion professionnelle des étudiants sur l'ensemble du territoire français. Ce projet, lancé en 2024, est financé par l'Agence Nationale de la Recherche. D'une durée de huit ans, ConfluenceS comprend trois grands axes stratégiques : la transformation de l'offre de formation, la transformation des lieux d'enseignement et la recherche sur les mutations de la formation et de l'emploi.
« Le projet apporte des fonds pour l’achat d’équipements et le développement des outils numériques destinés à l’enseignement, à la recherche et à l’innovation dans le cadre des Evolutive Learning Factories (ELF), explique Daniela Rodriguez, cheffe de projet. Il contribue également à développer la recherche en finançant des contrats doctoraux portant sur des thématiques considérées comme innovantes. Par exemple, la thèse effectuée par Loris Préaud sous la direction de Frédéric Segonds, Fabrice Mantelet et Joaquim Silvestre (l’École d’architecture Paris-La Villette) répondra à la question de comment l'intégration de techniques artisanales (menuiserie, forge, céramique, textile, etc.) peut optimiser la formation des ingénieurs en favorisant des compétences telles que la précision, la créativité et la maîtrise des matériaux. »
Chaque établissement mène également des démarches pour déposer des projets à l’échelle européenne. Arts et Métiers est ainsi lauréat d’un Erasmus+, le projet IDT4EU, qui vise à combler le fossé entre les méthodes traditionnelles d’enseignement de l’ingénierie et les besoins de l’Industrie 4.0 où les jumeaux numériques jouent un rôle central. Trois institutions collaborent : Arts et Métiers (France), WUT (Pologne) et POLIMI (Italie), afin de moderniser les pratiques pédagogiques et renforcer le partage de ressources en Europe.
A2ForBois, l’après JENII pour le Jumeau Numérique du déroulage
Le projet JENII laisse en héritage le Jumeau Numérique du déroulage, un outil innovant et immersif, utilisé en pédagogie au sein d’Arts et Métiers. Le projet A2ForBois, soutenu par France 2030, va permettre de pérenniser et d’enrichir cet outil en continuant les développements pour étoffer le contenu pédagogique et assurer une diffusion à une plus grande échelle pour de différents niveaux d’apprenants.
Les expérimentations pédagogiques menées depuis une année ont permis de mesurer et de confirmer sur 4 axes la pertinence de ce nouvel outil :
- La qualité pragmatique (son utilité et son utilisabilité)
- L’attractivité
- La qualité hédonique - Simulation (capacité à proposer des éléments captivants et innovants)
- La qualité hédonique - Identité (présentable et professionnel)
Ce n’est donc pas une fin, mais le début d’une nouvelle vie pour ce jumeau numérique, désormais prêt à s’inscrire durablement dans les pratiques pédagogiques.
Le projet A2Forbois (Avenir Formation Forêt Bois), soutenu par l’État dans le cadre de l’AMI « Compétences et Métiers d’Avenir », pour une durée de 5 ans, est le vecteur idéal pour que le jumeau du déroulage soit diffusé à grande échelle afin de toucher un public varié, du CAP au doctorat en passant par l’école d’ingénieur et emmener les apprenants à découvrir ce procédé de première transformation au travers de différents scénarios pédagogiques adaptés à tous les niveaux.
A2ForBois apporte un réseau d’acteurs, la structure et les moyens financiers pour faire progresser le jumeau du déroulage et les scénarios pédagogiques associés vers une diffusion plus large, et coconstruite avec les utilisateurs.
Grâce à A2ForBois, le jumeau du déroulage d’Arts et Métiers se met au service de la formation dans la filière forêt-bois à un niveau régional, voire national.
Une utilisation du jumeau est aussi envisagée dans le cadre de la formation continue via AMTALENTS. En particulier, des fonctionnalités et des scénarios spécifiques destinés aux professionnels sont à l’étude pour compléter les formations proposées aujourd’hui par l’équipe du LaBoMaP sur le déroulage.
